mercredi 10 avril 2013

Attachement aux robots : une histoire d’amour virtuelle

Attachement aux robots, une histoire d’amour virtuelle. 

Article paru sur le site de l'Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNHS), par Michael Stora.

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L'article en question : 

Alice pleure. Son tamagotchi a rendu l’âme. Elle est en colère, car Maria à qui elle a laissé son tamagotchi n’a pas réussi à le nourrir à temps. Mme Roland, 68ans, vient de perdre son chien. Unique compagnon, depuis la mort de son mari, elle est désespérée. Son frère cadet, pensant lui faire plaisir, lui offre un chien robot : Un Aibo. Ce chien fonctionne sur batterie, elle est sure de l’avoir pour toute la vie. Vincent, 14ans, est un elfe de la nuit, dans le jeu World Of Warcraft. Cela fait quatre mois qu’il joue à ce jeu, au grand désespoir de sa mère qui se retrouve à souvent diner seule. Lui est aux anges, ses oreilles deviennent pointus comme un elfe, et il vient d’être intégré dans la guilde des « anges de la mort ». Par contre ses notes ne décollent toujours pas. Emma, 12 ans, s’occupe de son petit caniche sur sa console portable DS. Sa copine, possède le même jeu vidéo : Nintendogs, et grâce au port infrarouge, leurs adorables petits chiens peuvent gambader ensemble. Emma trouve son caniche plus obéissant, et donne le conseil à sa copine de ne pas le nourrir trop, pour qu’il sache qui est le maitre. Laetitia, 33 ans, est enceinte, elle s’ennuie car elle avait un travail de conseiller financier qui la satisfaisait. Une amie, lui offre les Sim’s. Sur la jaquette, il est écrit que c’est un « simulateur de vie ». Elle regarde amusée le couple qu’elle vient de créer. Ils sont en train de faire « crac crac » et quelques clics plus tard, un magnifique bébé vient au monde. Elle n’arrive pas à gérer son travail avec sa vie de maman virtuelle. Les services sociaux viennent lui reprendre le bébé, l’accusant de maltraitance pour abandon de bébé en détresse. Elle pleur et se rend compte qu’il ne s’agit que d’un jeu et se venge en achetant l’add-on, « party » où elle peut séduire plusieurs hommes sans aucune culpabilité. 
Ces objets technologiques nous révèlent plus qu’ils nous fondent. Pourtant, nous avons tendance à leurs prêter une vie à part entière. Les programmeurs sont des illusionnistes et vont nous redonner une très ancienne illusion, celle du bébé. Ce dernier est persuadé qu’il est le créateur du monde qui l’entoure. Illusion nécessaire et constitutive, elle va lui permettre grâce à sa main d’avoir une mainmise sur les objets. Puis, au bout d’un certain temps, avec beaucoup de désillusion, il se rend compte qu’il ne peut tout maitriser et que même certains de ces objets lui résistent. C’est notre sort à tous et pourtant l’homme, en quête de triomphe sur sa nature incomplète, innove, cherche, dompte, pour avoir une main mise sur un monde où il peut se sentir moins seul.
Je me souviens lorsque je jouais seul avec mes soldats, j’imaginais la nuit tombante qu’ils prenaient vie et avaient une vie indépendante. Pixar, dans un de ces films, Toy Story, va s’amuser à mettre en scène ce fantasme que surement beaucoup d’enfants trop souvent seuls ont eu. D’ailleurs, en faisant un tour d’horizon des œuvres de science fiction, on retrouve souvent cette idée du savant qui pris dans une solitude, celle de son génie incompris, va tenter de créer une machine pour dans un premier temps lui tenir compagnie et dans un deuxième temps, « conquérir le monde » ! De la solitude va souvent naitre un autre, peut-être à l’image de Dieu qui créa, un homme à son image, Adam. 
Chez l’être humain, il s’agit d’un désir fou, qui est celui de l’auto engendrement, où, l’homme et la femme ne seraient qu’un et dans une toute puissance mettent au monde un être parfait. Une dérive que l’on peut observer, dans des fantasmes nano technologiques où son propre corps, mi-homme mi-robot serait un défi à Dieu, tout puissant. Derrière cette image, non représentable, il y a peut être l’image plus réelle du père qui remplit cette double fonction : création et sanction.
On peut toujours se demander si notre attachement à ces nouveaux objets électroniques n’aurait pas aussi pour origine le mythe du « double ». Cet autre moi-même serait celui d’un idéal dégagé de notre lourdeur : Celle de notre solitude, d’un corps soumis à la gravité. 
Un robot qui ne serait qu’un esclave n’aurait donc aucun intérêt. L’humain a besoin de maitrise mais sur un environnement qui lui résiste, il nous renverrait plutôt à un sentiment de profonde solitude. Ainsi, ces nouveaux robots qu’il s’agit d’apprivoiser, de dompter, qui n’obéissent pas au doigt et à l’œil, vont de plus en plus nous surprendre par une forme de subjectivité numérique. Le paradoxe se situe dans cet entre deux, entre plaisir et déplaisir, entre maitrise et lâcher prise. Mais, on peut se demander si pour tout être humain, il n’y pas une tendance naturelle à la destructivité. Que fait on de toute ces pulsions agressives accumulées tout au long de notre journée qui nous oblige à accepter la frustration, la soumission à l’autorité, l’injustice ? Certains vont les sublimer dans des travaux, qu’ils soient intellectuels, artistiques. Mais on se rend bien compte que ces être autonomes ne sont pas majoritaires. La plupart d’entre nous, vont inconsciemment être dans la décharge, l’addiction, la somatisation. Heureusement, il nous reste une voie, celle du jeu. Le jeu représente une aire de liberté, où nous pouvons jouer avec ces fameuses pulsions agressives. Tel homme malmené par son patron, pourra à travers tel jeu vidéo en ligne, diriger une guilde de plus de 200 hommes et femmes, où sa main, métaphore de son Moi, tenir le monde entre son poing fermé. Comme nous disait le poète, « l’enfer c’est les autres ». C’est là, où le robot pourrait avoir une place tout à fait intéressante. On pourrait s’amuser à imaginer que des robots prof particulier, par exemple, pourrait accepter la critique de son élève sans tomber dans une position trop rigide, signe d’une position défensive, propre à l’être humain. En effet, certains enfants en échec scolaire ou ayant des troubles du comportement, ont souvent besoin de tester les limites, pour à nouveau sentir cette résistance qui va les rassurer. Pourtant, les éducateurs, dans un sens large, à savoir la police, les professeurs, les parents ont leurs propres histoires, et vont dans certaines situations réagir de manières incohérentes, voir infantiles. Le robot programmé, serait à l’image du psychanalyste, qui esquisse un sourire alors que son patient en colère va s’en servir d’une surface de projection de toute sa haine accumulée. L’enfant, qui rentre le soir après une dure journée d’école, serait accueilli par le « robot nounou » qui lui ferait remarquer qu’il voit à son visage, qu’il est en colère. Cet enfant ne supportant pas à nouveau qu’on lui renvoi une mauvaise image pourrait l’envoyer balader, et évoquer en pleurant qu’un professeur lui a dis qu’il était nul. Notre robot au sourire figé lui répondant que ce prof à tort car ce n’est pas lui qui est nul mais son travail. Quelle sagesse ! Celle de la cohérence d’un robot sans affects qui ne dit que la vérité. 
Dompter, apprivoiser un robot serait à l’image de nos parents qui ont eux-mêmes tentés de nous éduquer, pour le meilleur ou pour le pire ; le robot fait de calculs ne serait pas obligé plus tard de voir un psy ! La révolte des robots n’est pas encore pour maintenant.


Propos recueillis par Michael Stora, http://www.omnsh.org/spip.php?article85

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